Entre nostalgie et combat de survie : le périple d’une mère
Lobbo*, une mère de six enfants, le regard perdu dans le lointain, raconte son périple. Arrivée il y a quelques mois dans la région de Douentza, elle a fui son village d’origine, emportant avec elle quatre de ses enfants, loin de là.
Par Mahamadou ABDOURHAMANE
« Nous avons tout laissé derrière nous », confie-t-elle, la voix tremblante. L’aide alimentaire du Programme alimentaire mondial (PAM) demeure vitale pour Lobbo et ses enfants, leur offrant un fragile espoir au milieu du désespoir et leur permettant de préserver leur dignité pour faire face aux difficultés quotidiennes loin de leur foyer.
La région de Douentza au centre du Mali, paisible jadis, est aujourd’hui le théâtre de violences récurrentes. Depuis plusieurs mois, les habitants vivent dans la peur. Les blocus, l’insécurité et les déplacements internes sont devenus le quotidien de milliers de personnes.
La trentenaire se souvient du jour où elle a dû prendre la difficile décision de quitter son foyer pour trouver un abri sûr à une centaine de kilomètres plus loin : « C’était en juin dernier. Les violences se rapprochaient de notre village. Pour protéger mes enfants, je n’ai pas hésité une seconde. »
Accompagnée de ses quatre plus jeunes, elle a entrepris un long périple, traversant des paysages arides et inhospitaliers. « Nous avons voyagé pendant trois jours à bord d’une charrette, sans nourriture. Les enfants pleuraient de faim et de soif, » relate-elle.
Une précarité économique contagieuse
Dans la précipitation et par peur de s’encombrer, les personnes affectées fuient leurs localités sans pouvoir apporter le moindre bien avec elles. Les conditions de ces voyages improvisés et incertains ne leur permettent pas de se déplacer avec leurs bétails ou tout autre moyen de subsistance espérant compter sur des familles d’accueil ne serait-ce que pendant les premiers mois suivant leur déplacement. « J’ai quitté mon village avec quatre de mes enfants laissant les deux autres avec leur père. La petite quantité d’eau que nous avions s’est épuisée avant que nous n’arrivions à destination » explique Lobbo.
Cette mère de six ans enfants dont le plus petit n’a que quatre mois, fait partie des centaines de personnes qui ont dû rompre avec leur mode de vie habituel, bravant les routes incertaines, Comptant sur la générosité d’une famille à destination.
À Douentza, Lobbo a trouvé refuge chez une amie dont la générosité est aussi grande que sa famille nombreuse. Mais la cohabitation est difficile. « Nous sommes trop nombreux. Cela n’a pas été facile pour elle d’accueillir de manière imprévue une famille de la même taille que la sienne. Les ressources sont limitées et nous avons épuisé ses stocks alimentaires en deux jours seulement. » dit-elle reconnaissante.
Les populations de Douentza sont confrontées à une crise humanitaire complexe, résultant d’un cocktail détonnant d’insécurité, de chocs climatiques et de l’effondrement des moyens de subsistance, forçant les populations à fuir et aggravant ainsi leur situation et pesant sur la population hôte.
« Ces personnes ont été contraintes de fuir leurs villages en plein cœur de la campagne agricole, alors que les champs étaient prêts à être semés. Imaginez leur désespoir de devoir abandonner leurs parcelles, fruit de mois de labeur, sans même pouvoir espérer une récolte. À leur arrivée, par solidarité, nous avons partagé avec eux ce qu’il nous restait dans nos greniers. Mais nos réserves se sont rapidement épuisées, et la récolte, compromise par les conditions climatiques et les déplacements, a été bien inférieure à nos attentes. Les prix des denrées alimentaires ont quant à eux flambé sur les marchés, nous plongeant dans une situation de crise alimentaire sans précédent. Nous vivons aujourd’hui une deuxième soudure, encore plus difficile à surmonter que la première », martèle un leader communautaire de Douentza.
Lobbo entre nostalgie et combat d’intégration
« Chez nous, je faisais du petit commerce tandis que mon mari cultivait une petite parcelle et s’occupait de nos bétails. Aujourd’hui, nous avons tout perdu à cause des enlèvements de bétails et notre déplacement précipité », se remémore-t-elle.
Malgré leur générosité, la population hôte atteint la limite de sa capacité de partage devenant ainsi deux fois plus vulnérable que les personnes qu’elles tente d’aider. Face une précarité exacerbée par une limitation des denrées alimentaires, les prix connaissent également un pic sur les marchés locaux limitant ainsi la capacité des ménages à accéder une alimentaire adéquate.
A date, le Mali enregistre plus de 378, 360 personnes déplacées internes (PDI). Dans leurs zones d’accueil, malgré la solidarité communautaire, les PDI sont confrontées à des difficultés de logement et de nourriture. Sans l’assistance alimentaire et nutritionnelle d’urgence, elles mettent difficilement quelque chose sous la dent.
Ainsi, le Programme alimentaire mondial (PAM) et ses partenaires s’activent en coordination avec les services techniques de l’Etat Malien et le Commissariat à la Sécurité alimentaire (CSA) pour apporter une assistance alimentaire et nutritionnelle pour soulager les ménages déplacés et les familles hôtes.
Pour sa part, Lobbo reçoit du PAM une aide cruciale, sous la forme de cartes électroniques à valeur monétaire échangeables contre des denrées alimentaires comme l’huile, le riz, le mil, l’arachide, le savon, le sucre auprès des commerçants locaux. Cette assistance lui permet de subvenir aux besoins de sa famille et soulager les charges de son hôte pendant au moins six mois. Toutefois, cette aide ne soulage réellement leurs besoins que durant un quart de son séjour hors de chez elle.
« J’espère pouvoir un jour rentrer et vivre en paix chez moi » dit-elle, le regard pensif.
Depuis janvier 2024, plus de 270 000 personnes déplacées internes ont bénéficié de l’assistance alimentaire et nutritionnelle du PAM et de ses partenaires à travers les régions du Mali, grâce au soutien financier de donateurs comme, la Belgique, CERF, la Coopération allemande et espagnole, l’Union européenne, le Japon, la République de Corée et le Luxembourg.
Lobbo*Nom d’emprunt