Lac Tchad : les déplacés toujours dans le besoin
L’assistance du Programme alimentaire mondial (PAM) reste une bouée de sauvetage pour les milliers de familles qui ont tout laissé derrière elles pour fuir les violences.
Par Eloge Mbaihondoum
Il est 11 heures, ce mardi 15 février 2022. Drapé dans un grand boubou beige, Adam Brahim, 47 ans, est assis sous son acacia. Le ciel de Ngourtou Ngouboua est bleu. Le soleil est plombant. Un léger vent chaud mêlé de grains de sable chatouille le corps par moments.
Adam et sa famille ont eu un petit déjeuner composé d’une sauce de gombo sec accompagnée de la boule de sorgho — plat local à base de farine de céréale et d’eau bouillie. Maintenant, c’est l’heure du repos. La famille est bercée par une fluette musique en langue Kanembu sortant d’un téléphone posé sur le sol sablonneux.
« C’était comme un cauchemar. A peine était-on installé que les groupes armés sont revenus frapper à Maghar. Ils ont brulé le village et tué un de mes frères »
Adam fait partie des plus de 400 000 personnes déplacées internes qui ont fui les violences de groupes armés dans le Lac Tchad. Il y a deux ans, il vivait à Lemingam, un village situé dans les iles du Lac Tchad, vers la frontière entre le Tchad et le Nigeria.
« Une nuit, les assaillants sont venus attaquer un village voisin », se souvient Adam. « On a entendu plusieurs coups de feu et explosions. Ils ont tué des gens. Ils ont tout pillé », se souvient-il très ému.
De peur de subir une autre attaque, les habitants de Lemingam quittent les iles. Comme la plupart des personnes déplacées, il n’a rien pu emporter d’autre que les vêtements qu’il portait sur lui le jour de sa fuite.
La famille d’Adam trouve refuge dans le village de Maghar, après trois rudes journées de marche. Trois mois plus tard, c’est la veille de la Tabaski. Une mauvaise surprise se prépare.
« C’était comme un cauchemar. A peine était-on installé que les groupes armés sont revenus frapper à Maghar. Ils ont brulé le village et tué un de mes frères », décrit-il dans un soupir.
La famille fuit une seconde fois pour s’installer dans le village de Ngourtou Koumboua.
Dans leurs déplacements, les familles déplacées ont peu ou pas d’accès aux moyens de subsistance. Tout comme Adam, la survie de ce nombre croissant de populations dépend principalement de l’aide humanitaire et de la solidarité des villages hôtes. Ce nouveau mode de vie n’est pas pour plaire à Adam qui vivait plutôt d’élevage, d’agriculture, petits commerces et des objets d’art de sa femme dans les iles du Lac Tchad.
« J’ai été bien accueilli et beaucoup ont été vraiment généreux envers moi » raconte Adam. « Mais comme nous sommes devenus plus nombreux dans le village, ça devient difficile. »
Le « Cash du PAM »
En plus des conflits, les chocs climatiques et la crise COVID-19 ont drastiquement affecté les ressources naturelles, déjà rares, dans le bassin du Lac Tchad. Les sites de déplacés internes sont ainsi frappés par une pénurie des denrées alimentaires et un pic des prix sur le marché rend inaccessible la nourriture aux familles les plus démunies.
« Aujourd’hui, les familles qui partageaient leurs repas avec nous ont du mal à se nourrir. Le maïs qui est pourtant notre aliment de base est devenu cher. C’est pour ça que l’argent que je reçois du PAM est vraiment précieux pour nous », confie ce père de huit enfants.
Adam fait partie des familles vulnérables ciblées par l’assistance alimentaire du PAM soutenue par la Direction générale de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes (ECHO). Cette aide distribuée sous forme d’espèces, permet de répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels des familles pour une période d’un mois.
« Grâce à cette aide, nous mangeons au moins une fois par jour. Mais quand le calme va revenir, je veux rentrer chez moi avec ma famille et continuer mes activités » dit-il.
A l’image de son père, Salamata, l’ainée de la famille garde toujours espoir et un sourire communicatif malgré sa vie de déplacée. Du fond de la cuisine — une paillote couverte de bâche — Salamata réchauffe le repas de ses frères qui viennent de rentrer de l’école.
« Il y a des jours où ils n’ont rien à manger à leur retour de l’école. Les tout-petits pleurent dans ces cas-là », explique la jeune fille. « J’espère que notre situation va s’améliorer un jour et qu’on pourra retrouver une vie normale à Lemingam » affirme Salamata. « Les mangues et les goyaves de notre jardin de là-bas me manquent parfois, mais je suis sûre que tout ira bien » conclut-elle.
En 2021, l’assistance alimentaire et nutritionnelle d’urgence du PAM a été fournie à plus de d’un million de personnes à travers le Tchad. Parmi ces bénéficiaires, on compte 42 600 d’enfants en situation de malnutrition, également assistés grâce aux contributions d’ECHO.